Soigner l’ATM sans considérer le reste du corps, c’est ignorer la complexité du patient. Place à une approche dentaire interdisciplinaire.

Soigner une dent sans penser au reste du corps : une erreur de perspective

Soigner une dent sans penser au reste du corps, c’est un peu comme réparer un mur sans vérifier les fondations. Cette phrase résume à elle seule le grand angle mort de la pratique dentaire moderne : la déconnexion entre le local et le global.

En 2026, cette approche segmentée n’a plus lieu d’être. Elle interroge notre formation, nos habitudes, et parfois même notre confort professionnel. Car derrière la dent, il y a un corps. Et derrière la douleur, souvent, une chaîne fonctionnelle qui dépasse largement la sphère buccale.

L’oublié du diagnostic : l’articulation temporo-mandibulaire

Aujourd’hui, un adulte sur trois dans le monde souffre de troubles temporo-mandibulaires (TMD). Ces troubles regroupent des douleurs musculaires, articulaires et posturales qui affectent directement la qualité de vie des patients : mâchoire bloquée, craquements, migraines, tensions cervicales, fatigue musculaire…

Et pourtant, la réponse clinique reste souvent la même : une gouttière. Un outil utile, certes, mais insuffisant quand la cause dépasse le périmètre dentaire.

Pendant ce temps, la recherche avance :

  • L’ostéopathie crânienne montre une réduction significative de la douleur chez les patients atteints de TMD chroniques.
  • La posture céphalique antérieure est clairement corrélée à la douleur articulaire de l’ATM.
  • La collaboration entre chirurgiens-dentistes et ostéopathes améliore les résultats cliniques, notamment en orthodontie et en implantologie.

Et pourtant, selon les dernières données, près de 60 % des dentistes français ne connaissent pas réellement le rôle de la kinésithérapie ou de l’ostéopathie dans la prise en charge des TMD.

Quand la bouche influence tout le reste du corps

Avec la Dr Carole Seilhes, nous avons voulu explorer une question simple mais essentielle : Que se passe-t-il quand un traitement dentaire se prolonge au-delà de la bouche ?

La réponse tient en trois mots : mieux comprendre, mieux accompagner, mieux soulager.

Car un déséquilibre mandibulaire n’est jamais isolé. L’articulation temporo-mandibulaire (ATM) s’inscrit dans un ensemble dynamique : muscles cervicaux, os crâniens, chaînes posturales, système nerveux autonome. Lorsqu’une prothèse, un implant ou un ajustement occlusal modifie cet équilibre, les conséquences dépassent largement le champ de la dentisterie.

Ce n’est pas une question d’« énergie », mais bien de physiologie appliquée et de diagnostic partagé. Il ne s’agit pas de “soins parallèles”, mais de soins complémentaires, fondés sur des bases biomécaniques et neurophysiologiques solides.

De la gouttière au regard global : un changement de paradigme

Le Congrès ODENTH 2026, qui se tiendra les 28 et 29 mai à Aix-en-Provence, consacrera plusieurs conférences à cette approche interdisciplinaire de la douleur. Nous y aborderons des cas cliniques concrets, des études quantitatives et des retours d’expérience sur la collaboration entre dentistes, ostéopathes et kinésithérapeutes.

L’objectif n’est pas de juger les pratiques, mais de comprendre ce qui, dans notre formation ou nos outils, nous pousse parfois à rester enfermés dans le “tout local”. Et surtout de proposer des alternatives : des stratégies de diagnostic partagé, des bilans posturaux intégrés, des protocoles coordonnés.

C’est là que se joue l’avenir de la dentisterie : passer du protocole isolé à la stratégie interdisciplinaire.

Et si le problème n’était pas la gouttière, mais le regard ?

Quand un patient revient avec des douleurs chroniques malgré une occlusion parfaite, la question n’est peut-être plus “quelle gouttière changer”, mais “quel regard adopter”. Changer d’angle, c’est reconnaître que la bouche ne se soigne pas seule. C’est accepter que les chaînes musculaires, les tensions cervicales, la posture ou le stress jouent un rôle aussi important que l’occlusion elle-même.

Soigner une dent, c’est bien. Soigner un patient, c’est mieux. Et comprendre ce patient dans toute sa complexité corporelle, c’est là que commence la vraie médecine dentaire.