Quand la bouche influence… tout le reste ?

Douleurs cervicales persistantes, tensions lombaires inexpliquées, migraines à répétition… Et si la clé se trouvait dans l’occlusion dentaire ?
Longtemps considérée comme un sujet de niche (voire ésotérique), la relation entre occlusion, posture et troubles musculo-squelettiques gagne aujourd’hui du terrain, notamment portée par la dentisterie holistique et les approches pluridisciplinaires.

Mais que dit réellement la littérature ? S’agit-il d’une hypothèse séduisante ou d’une réalité clinique documentée ? Et comment les praticiens peuvent-ils intégrer ces liens dans leur exercice sans tomber dans le “tout fonctionnel” ?

Un contexte où la bouche et le corps ne peuvent plus être dissociés

Pendant des années, la dentisterie s’est concentrée sur la sphère buccale pure : dents, gencives, occlusion… sans toujours prendre en compte les interactions globales. Pourtant, l’idée que l’équilibre dentaire puisse influencer la posture n’est pas nouvelle.

Dès les années 70, des travaux (Bricot, 1978) évoquaient déjà un lien entre dysfonction occlusale et déséquilibres posturaux. Plus récemment, plusieurs études (Michelotti et al., 2011 ; Perinetti, 2016) ont exploré les corrélations entre malocclusion et divers troubles musculo-squelettiques (cervicalgies, dorsalgies, douleurs temporo-mandibulaires).

Les mécanismes évoqués :

  • Déséquilibre des chaînes musculaires via l’articulation temporo-mandibulaire (ATM) ;

  • Compensation posturale liée à une mauvaise occlusion ;

  • Impacts neurologiques par les afférences proprioceptives oro-faciales.

Avec l’essor de la dentisterie holistique et des approches interdisciplinaires (ostéopathie, posturologie, kinésithérapie), le sujet revient sur le devant de la scène. Le but ? Mieux comprendre pour mieux prendre en charge.

Ce que dit la science : un lien réel, mais multifactoriel

Si les liens entre occlusion et posture ont été largement étudiés, les résultats restent contrastés.

Les études qui confirment un lien

  • Une méta-analyse (Perinetti et al., 2017) a montré que des déséquilibres occlusaux peuvent influencer la posture crânienne et cervicale, en modifiant l’activité musculaire.

  • Des recherches en posturologie (Gangloff et Perrin, 2002) ont révélé que des gouttières occlusales peuvent modifier le contrôle postural, notamment chez les sportifs.

Les limites des études actuelles

  • Pas de causalité démontrée : si des corrélations existent, elles ne prouvent pas que l’occlusion est la cause principale des troubles posturaux.

  • Des facteurs confondants : d’autres éléments (mauvaise ergonomie, stress, scoliose, pathologies ORL) influencent la posture.

  • Des résultats variables selon les individus : tous les patients ne réagissent pas de la même manière à une correction occlusale.

L’occlusion peut influencer la posture, mais elle n’est qu’un facteur parmi d’autres. L’approche pluridisciplinaire est clé pour une prise en charge efficace.

Comment intégrer cette approche en cabinet dentaire ?

Si l’impact exact de l’occlusion sur la posture fait encore débat, plusieurs pistes permettent une approche clinique raisonnée.

1. Dépister les signes de troubles posturaux chez ses patients

Un dentiste ne remplace pas un posturologue, mais il peut repérer certains signaux d’alerte :

  • Douleurs cervicales, dorsales ou lombaires inexpliquées

  • Craquements de l’ATM ou tensions mandibulaires

  • Usure asymétrique des dents

  • Sensation d’instabilité posturale ou troubles de l’équilibre

Outil utile : le test de Fukuda (déviation du patient en marche sur place, yeux fermés) peut donner un premier indice d’une asymétrie posturale.

2. Collaborer avec des professionnels de santé complémentaires

Une prise en charge efficace passe souvent par un travail en synergie avec :

  • Des posturologues : pour analyser l’équilibre global

  • Des ostéopathes : pour libérer les tensions corporelles associées

  • Des orthophonistes (dans les troubles oro-faciaux)

  • Des kinésithérapeutes spécialisés en rééducation posturale

Exemple de protocole interdisciplinaire : un patient souffrant de douleurs cervicales chroniques pourrait bénéficier d’une double prise en charge :

  1. Correction d’un déséquilibre occlusal mineur (gouttière, ajustement prothétique)

  2. Suivi postural (rééducation kiné, bilan ostéopathique, exercices de stabilisation)

3. Privilégier une approche progressive

  • Avant d’envisager une correction occlusale lourde (orthodontie, prothèses complexes), tester une gouttière d’équilibration peut permettre d’observer une amélioration des symptômes.

  • Si un lien est suspecté, un suivi pluridisciplinaire sur quelques mois aide à valider l’impact réel de l’occlusion.

L’intégration de la dimension posturale en dentisterie permet d’éviter des traitements occlusaux inutiles ou inadaptés, et d’optimiser la prise en charge des patients souffrant de douleurs chroniques. Les dentistes peuvent jouer un rôle clé dans le dépistage des troubles posturaux, en travaillant en synergie avec d’autres professionnels de santé. Une approche qui renforce la précision du diagnostic et l’efficacité des traitements.

Une dentisterie plus globale, prenant en compte l’impact systémique de l’occlusion sur l’ensemble du corps. Une vision intégrative qui s’inscrit dans une tendance forte de la médecine fonctionnelle et holistique. En somme, la relation occlusion-posture n’est ni un mythe, ni une vérité absolue. C’est un facteur d’équilibre parmi d’autres, qui mérite d’être évalué avec finesse et discernement.